B2. Fermes Legay et Bouquet

   Ce domaine était souvent désigné sous le nom de « ferme du Frescot. »

(Voir B. Hameau du Frescot)

   Le 6 avril 1712 [1], Messire Jean Baptiste Le Roux chevallier seigneur de Touffreville et autres lieux et noble Dame Esther de Brachon demeurant au manoir seigneurial de Sénitot  vendent à discrète personne Messire Nicolas Thierry prestre curé de Notre Dame de Gournay tuteur de Demoiselle Yollente Marguerite Marie Thierry sa nièce « un petit héritage logé planté basty et esdiffié ainsy qu’il est de maison manante cour et bastimens.. assis en la parr. de St Romain de Colbosc hameau du frescot contenant sept acres de terre ou environ... ». L’acte précise que l’acquéreur devra laisser jouir Jacques Beuzelin, fermier jusqu’à la fin de son bail.

    Cette première pièce est bien la masure Legay.

    Les vendeurs de cet héritage  appartenaient à deux belles familles de la pointe de Caux. Les Le Roux auront régné, entre autre, sur Montgeon et la Bouteillerie à Rouelles ; de vieille noblesse, ils portaient « de sable, à la fasce d’argent, chargée de trois croisettes de sable, accompagnées de trois molettes d’éperon d’or [3]» . Quant à l’épouse de Jean Baptiste, Ester de Brachon, elle était Dame de Bévilliers dont le manoir de Sénitot (que l’on découvre facilement entre Gainneville et Harfleur) était le centre d’un fief que les De Brachon détenaient depuis deux siècles.

    Et avant1712 ?

    L’acte du 6 avril 1712 nous informe que « ladite Dame de Touffreville en aurait acquis de Gabriel de Buffresnil escuyer sieur de la Vallée par contrat passé par devant Maître Robert Preudhomme lors notaire royal audit Montivilliers le vingt deux décembre mil six cent quatre vingt saize ... » [4]  

    Et l’aveu du 9 décembre 1713 mentionne un autre aveu « rendu par la demoiselle Jeanne Dorey veuve du feu sieur Adrien De Bufresnil sieur de la Vallée et Gabriel De Bufresnil sieur dudit lieu son fils et héritier le 28 novembre1665 »

    De Buffrénil, encore une célèbre famille du pays de Caux : elle est mentionnée dès le 15^ème siècle dans la paroisse de Saint-Vincent où elle occupait le manoir d’Aubermare, fief relevant de l’abbaye du Valasse.

    Une généalogie très complète a été publiée par François Grandpierre dans la Revue Généalogique Normande n° 125   

    La ferme qui nous intéresse ici aurait donc appartenu aux De Buffrénil avant de passer aux mains des Le Roux de Touffreville puis des Thierry.

    Lesquels Thierry possédaient déjà un beau domaine dans ce hameau du Frescot : le 10 mai 1687 [5], « Messire Nicolas Thierry prestre bachelier en Sorbonne, curé de Notre Dame de Gournay, et Marc Antoine Thierry son frère »  avouaient au comté de Tancarville 58 acres 20 perches de terre (soit environ 33 hectares) en 11 pièces situées au hameau du Frescot.   Une note en bas de page précisait que lesdits Thierry avaient eu ce domaine « par échange de Nicolas Oursel fils aîné et héritier de Nicolas Oursel lequel était pareillement fils de feue Judic Perdu » par contrat passé devant Lepelletier et Avisse notaires à Rouen le 22 novembre 1685, lequel  domaine était alors exploité par Charles Belloncle

   Et plus anciennement encore, ce même domaine était avoué le 10 mars 1551 par Guillaume Perdu le jeune fils de Guillaume, le 16 mai 1600 par Martin Perdu fils de Marin, et le 31 juillet 1610 par Anne, Madeleine et Judic Perdu filles sousages de Martin Perdu [6].

   Le 30 mai 1665, Jean et Nicolas Oursel, enfants et héritiers de Judic Perdu, se partagent cet héritage. Par contrat passé au Havre [7], Jean Oursel, l’aîné des deux frères, va céder à Nicolas son frère puisné l’ensemble de l’héritage en recevant en échange un héritage situé à St Jouin.

Et le 1^er août 1682, Nicolas Oursel fils de ce Nicolas « tant pour luy que pour ses frères et sœurs » avouera le domaine au comté de Tancarville [8].

    Je ne me risquerai pas à situer ce vaste domaine ; disons simplement que la plupart des 11 parcelles sont bornées par la ferme Mahiel Côté et la ferme du Haumare

   Deux articles extraits de la « table du plan géométral de la parroisse de Saint Romain » [9] vont nous permettre de poursuivre l’histoire de cette ferme :

« Article 312 :  ledit Sr Vallée... au droit de la Dlle Thierry ... pour une masure logée et plantée d’arbres fruitiers nommée le Frocarmesnil contenant trois acres une vergée vingt quatre perches » , mesure ancienne équivalant à environ 1 ha 93 a. Il s’agit de la grande masure qui va être plus tard coupée en deux morceaux que nous appellerons masure Legay (de 9710 ca ) et masure Bouquet (de 8280 ca) soit environ 1,80 ha pour l’ensemble. 

« Article 311 : « ledit Sr Vallée au lieu du sieur de Blaisimare pour une pièce de terre labourable contenant une acre » , sans aucun doute la parcelle mitoyenne 124 bis de 5810 ca au cadastre napoléonien. Or, la « Dlle Thierry » et l’épouse du sieur de Blésimare n’étaient qu’une et même personne : Yolande Thierry, nièce de l’abbé Nicolas Thierry, avait en effet épousé Benjamin Pestel de Blésimare.

        Le repertoire des actes contrôlés au bureau de Montivilliers [10] fait état d’une vente le 12 février 1754 d’une ferme à St Romain, vente effectuée par la Demoiselle Pestel de Blésimare à Louis Vallée...

On peut alors résumer ainsi nos trouvailles :

   Il faut maintenant attendre 1796 pour trouver enfin une trace sérieuse concernant cette ferme : le 7 ventose IV (26 février 1796) est rédigé l’inventaire après décès de François Violette, cultivateur décédé six jours auparavant [11].

   Cet inventaire mentionne diverses écritures, en particulier :

- Le bail de la ferme que ledit Violette occupait de la citoyenne veuve Lefebvre et les quittances concernant ces fermages.

- Le bail fait par la veuve Violette à son fils François d’une portion de la ferme qu’il occupait.

La « ferme Legay » était donc exploitée entièrement par François Violette, mais une partie appartenait à sa mère née Catherine Marguerite Fatras et une autre à la veuve Lefebvre (on verra tout à l’heure les liens de parenté de cette dernière). Ce fait est confirmé par les quittances de contribution foncière « délivrées au feu Violette pour l’héritage qu’il occupait de la veuve Lefebvre et de celui de la veuve Viollette sa mère »

   Notons aussi que l’inventaire nous présente un bail et les quittances concernant les fermages pour l’exploitation de deux acres de terre « originairement au trésor de La Cerlangue et aujourd’hui à la République », bien confisqué par la nation lors de la Révolution.

   Le 15 nivose IX (5 janvier 1801), Marie Françoise Milet veuve Lefebvre, qui possédait déjà la partie orientale de la ferme, achète à Pierre Violette (qui a donc succédé à sa mère), cultivateur à St Martin du Manoir, l’autre portion de la masure [11]. Cette portion est désignée dans l’acte comme étant « édifiée d’une portion de grange (129 )  dont le surplus (128 ) appartient à ladite veuve Lefebvre ... le tout  contenant environ 57 a , bornée d’un bout vers le levant un chemin tendant de la mare du frescot à Gommerville et en hache rentrante les enfants et héritiers  de François Violette pour leur masure dans laquelle celle présentement vendue a été originairement partagée (133/134) ; d’autre bout au couchant  ladite dame Lefebvre acquisitrice (124/128 )  d’un côté  au nord les terres de labour appartenant à ladite veuve Lefebvre (130 et 132) entre lesquelles et la portion de masure cy vendue règne un chemin tendant à celui de Montivilliers (131) ; et d’autre côté au midi et en hache lesdits enfants et héritiers de François Violette à cause de ladite masure ( ?)»  

   Marie Françoise Milet veuve Lefebvre, qui a donc réunifié la « ferme Legay », meurt le 30 juin 1816. Les biens qui composent sa succession consistent en divers immeubles à St Léonard, Bordeaux, Ecrainville, Heuqueville,  Le Havre, et la ferme du Frescot occupée par François Violette fils  contenant environ 18 hectares 30 ares.  Ce patrimoine va être partagé le 21 mai 1817 [12]

      Pas simple, la famille. Quelques explications s’imposent avant de suivre l’éclatement de la propriété : Catherine Fossé avait épousé Jean Fatras en premières noces et Guillaume Milet en secondes noces. Du premier de ces mariages sont nés Jean Fatras et Marie Catherine Fatras qui a épousé Pierre Violette . Du second mariage est issue Marie Françoise Milet .

   L’héritage va être partagé en deux parts égales pour  les descendants de Jean Fatras et ceux de Marie Fatras, frère et soeur utérins de la défunte. Les premiers, descendants de Jean Fatras, sont Marie Anne Elisabeth épouse de Jean Baptiste Quertier qui recevra la ferme « Frescot 2b » (voir maintenant le chapitre « Ferme Bouquet », et Marie Marguerite épouse de François Violette lequel était aussi héritier comme descendant de Marie Fatras.

   Mais François Violette était décédé en 1796 ; sa femme Marie Marguerite Fatras (à ne pas confondre avec Catherine Marguerite Fatras sa mère !) l’avait suivi en 1799. Ils laissaient comme héritiers chacun pour 1/6 les 6 enfants du couple ou leurs représentants: François Violette, cultivateur à St Romain, Pierre Violette boulanger à Beuzeville la Grenier, Prudence Flore Violette épouse d’Amand Gibon  cultivateur à St Romain, Julie Emilie Violette épouse de Jean Avril demeurant à Houquetot, Victoire Henriette Violette épouse de Théodore Hérubel serrurier à St Romain, enfin les enfants mineurs de Louis Déperrest, cultivateur à St Romain issus de son mariage avec Marie Marguerite Violette.

   Le 23 juillet 1817, le domaine va être morcelé suite au partage effectué entre ces six enfants. Les immeubles à partager sont ceux provenant de la succession de leurs parents mais aussi de la succession de Marie Françoise Milet. Ils se composent d’une ferme de 2 ha 83 a 76 ca située à Ecrainville et de la ferme du Frescot [13] 

   Six lots seront constitués et tirés au sort pour être attribués aux six héritiers. La ferme d’Ecrainville, comprise dans le lot n° 1, sera attribuée à Victoire Henriette, épouse de Théodore Hérubel. Les cinq autres lots concernent les terres de Saint Romain

lot n° 2:   attribué à Prudence Flore, épouse d'Amand Gibon. C'est la ferme que nous

    appellerons "ferme Legay".Elle se compose de la masure 129/138 (9710ca) et de trois labours (116/117 de 13330ca et 142 de 3620 ca) soit 2ha 66a 60ca. 

  lot n° 3: attribué aux enfants de Louis Déperrest et Marie Marguerite Violette. Il se compose

     d'un labour bordant le chemin de Montivilliers (143/145 de 13290 ca) et d'un autre formant un

    étroit rectangle (146/147 de 14990 ca) soit 2ha 82a 80ca.

       Le 22 août 1846 [14] , les 7 enfants survivants vont vendre leur héritage en deux lots: les parcelles 143 à 145 seront acquises par Pierre Vason (voir "B2b. Ferme Bouquet"), et les terres 146 et 147 seront rattachées à la ferme Mahiel Côté suite à l'acquisition faite par Catherine Thibon épouse Loisnel (voir "C1a. Ferme Colboc")

   Les fermes 2a et 2b sont maintenant bien distinctes. Nous allons pouvoir les étudier séparément. (Voir « B2a ferme Legay » et « B2b ferme Bouquet» )