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On sait qu’en 911, par le traité de Saint-Clair-sur-Epte, le roi de France Charles le Simple accorda à Rollon, chef des envahisseurs vikings, un grand territoire qui prendra le nom de Normandie. Le Duc de Normandie est donc le propriétaire de toute la province. Il va distribuer des terres à ses grands barons : par le serment de Foi et Hommage, le vassal reçoit un fief en échange de la promesse d’aider son Seigneur en toute circonstance, de se reconnaître « son » homme. L’attribution d’un fief sera en outre une source de profit pour le Seigneur. Le vassal, à son tour, va attribuer des terres à de plus humbles nobles ou même à des roturiers. Ces nouveaux propriétaires, qui ne seront titulaires que de la « propriété utile », devront « avouer » ces terres ou « tenures » à leur Seigneur en signant l’« aveu » établi devant les tabellions ou notaires , sorte de contrat de vente dans lequel la terre accordée est désignée en contenance et situation, contrat qui fixe aussi le montant des droits seigneuriaux dus par le nouveau « tenant ». Si plus tard la tenure est vendue – ou transmise par héritage - le nouvel acquéreur - ou l’heureux héritier - doit à son tour avouer son bien au Seigneur qui en détient toujours la « propriété éminente ». La terre est restée dans la « mouvance » de la seigneurie. Souvent, le propriétaire d’une tenure vendait une ou plusieurs parcelles à de nouveaux tenants. Dans ce cas, le vendeur continuait à payer la totalité des droits seigneuriaux, mais ses nouveaux acquéreurs devaient « déclarer » la terre achetée à leur vendeur (leur « aîné » ou « porteur en avant »). Une « déclaration » ressemble à un aveu : elle comporte les renseignements sur le bien que vient d’acquérir le déclarant (ou « puisné » ou « soutenant ») et les droits seigneuriaux dus ... au vendeur qui ne sert dans ce cas que d’intermédiaire avec le Seigneur. On remarquera que les termes de puisné ou d’aîné utilisés ici ont un sens tout différent de celui qu’on leur attribue généralement , le sens habituel donnant une indication sur l’ordre de naissance dans une même famille. Les aveux et déclarations étaient regroupés dans des registres « terriers » que conservaient les Seigneurs. Lorsqu’ils n’ont pas été détruits, on les trouve aux Archives Départementales où ils font le bonheur des historiens. A Saint-Romain, la plus grande partie des terres était dans la mouvance du Comté de Tancarville. On trouvera toutefois quelques biens qui dépendaient de la Seigneurie de Rames, de celle de Beaucamp ou d’Hermeville ; d’autres même relevaient de l’Abbaye de Saint-Georges-de-Boscherville ou de celle du Valasse ... car les écclésiastiques possédaient des terres au même titre que les laïcs. Le propriétaire d’un domaine pouvait exploiter lui-même la terre, aidé bien sûr par un nombre parfois important de journaliers agricoles. Il pouvait aussi en confier l’exploitation à un fermier selon un bail d’une durée de 3, 6 ou 9 ans, durée qui n’est pas sans rapport avec l’assolement triénal. L’exploitant de la ferme, celui qui gérait et dirigeait les ouvriers agricoles, était nommé le laboureur, condition sociale bien différente de celui qui labourait la terre. Voilà en quelques mots les principes de la propriété sous l’ancien régime. Mais qu’en était-il de la transmission de ces biens ? Le grand principe de la Coutume de Normandie est qu’un bien immobilier doit rester dans le patrimoine familial. La terre doit perpétuer le nom des ancêtres. Or, les mâles seuls peuvent transmettre le patronyme ! Partant de ce constat, il est évident que les filles seront sacrifiées : lors d’une succession, tout l’héritage immobilier ira dans les mains des fils ; et même souvent dans les mains du fils aîné afin de conserver l’indivisibilité du domaine. On lira souvent dans les actes « fils aîné et héritier ... ». Les filles héritaient de leurs parents seulement s’il n’y avait aucun héritier mâle. Quelle était la place de la femme dans le couple ? Peu de choses, Mesdames ! Le mari gérait tous les biens, les siens, ceux de sa femme, et même les biens acquis pendant le mariage. Toutefois, il ne pouvait aliéner des biens qui appartenaient en propre à sa femme (reçus en héritage ou apportés en dot, par exemple) car l’épouse devait retrouver ses biens en cas de décès de son mari. Ce dernier pouvait toutefois vendre un bien de sa femme, avec son consentement, à condition de le remplacer par un immeuble de même valeur prélevé sur ses biens propres ; c’est ce qu’on appellait le remploi. Enfin, toujours pour perpétuer le patrimoine familial, il nous faut évoquer un cas particulier : un seigneur ayant besoin d’argent vend un domaine . La terre va perdre le patronyme qui lui était attaché depuis des lustres. Les ancêtres vont se retourner dans leur tombe ! Mais tout n’est pas perdu : dans un délai d’un an après la vente, un parent peut demander par « clameur lignagère » de reprendre le bien familial en remboursant bien sûr l’acquéreur ; c’est le « retrait lignager ». La terre va alors retrouver le nom prestigieux de ses ancêtres. Sorte de Code civil régional de l’ancien régime, le « Grand Coutumier de Normandie » est un volumineux recueil de référence qu’il n’est pas question d’étudier ici. J’ai voulu seulement, en puisant dans des documents sérieux, extraire quelques rudiments qui m’ont semblé indispensables pour la bonne compréhension des textes qui suivront.
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